lundi 12 décembre 2011

LE PARADIGME EPISTEMOLOGIQUE AFRICAIN

I-INTRODUCTION
a-LA QUESTION :

Comment la rationalité scientifique se perçoit-elle, elle-même, et se déploie-t-elle dans le paradigme épistémologique négro-africain ?

b-PISTES DE REFLEXION :  

Pour tenter de répondre à la problématique, je prendrai comme lignes de réflexion les travaux du Père E. MVENG (prêtre camerounais, martyr de la foi), travaux publiés dans son ouvrage L’Afrique dans l’Eglise. Paroles d’un croyant. (Paris, l’Harmattan, 1985). Bien évidemment, il ne s’agit pas ici d’un résumé du livre cité : je ne fais qu’intégrer – et ce, avec une grande liberté -  certaines réflexions de l’auteur dans ma propre analyse.

II-LES ETAPES DU PROCESSUS D’APPREHENSION DU REEL DANS LE PARADIGME ESPISTEMOLOGIQUE AFRICAIN (pp. 37-38)

On distingue 04 étapes d’appréhension du réel dans le paradigme épistémologique africain :
-L’Expérience concrète avec l’Objet : c’est l’étape de la saisie directe de l’objet à l’état naturel à travers l’observation attentive et rigoureuse.
-L’Abstraction ou la Sélection : C’est l’étape d’identification de la « Ligne essentielle » de l’objet, c-à-d ce qui le caractérise dans son essence matérielle et ontologique profonde.
-La Représentation de l’objet : C’est l’étape de l’invention d’un langage symbolique capable de rendre accessible la nature de l’objet.
-Le Recentrement de l’objet dans le cosmos : c’est l’étape où la rationalité scientifique réintègre l’objet appréhendé dans la totalité du Cosmos. Le Père Mveng parle ici d’une « re-récréation de tout le cosmos ». L’objet n’est pas une coquille fermée sur soi. La science, dans le paradigme épistémologique africain, a une dimension holiste.
En résumé, on a donc :

Expérience Abstraction Représentation Recentrement.

III-LES FONCTIONS DE LA SCIENCE DANS LE PARADIGME EPISTEMOLOGIQUE AFRICAIN

L’appréhension du réel a une dimension non seulement heuristique, théorique, mais aussi pratique. La science a une triple fonction:
-Une Fonction technico-créatrice : la science se transforme en un champ infini d’inventions techniques de tout genre capables d’apporter des solutions pratiques aux problèmes et aux besoins de l’humanité : agronomie, industrie agro-alimentaire, médecine, pharmacie, architecture, technique de navigation, sidérurgie et métallurgie, astronomie, géométrie, etc.
-Une Fonction sapientiale : la science se transforme en philosophie et fait de la nature un livre de Sagesse où « l’homme apprend les normes de comportement qui lui permettent d’assurer le triomphe de la Vie ».
-Une Fonction d’harmonie symphonique: Ici, la science, quoi que soumettant la nature à une analyse rigoureuse, ne la considère cependant pas, contrairement au paradigme occidental à partir de Descartes, comme un simple objet d’exploitation, livré à l’avidité incontrôlée  de l’homme, comme uneres extensa opposée à une res cogitans. Dans le paradigme épistémologique africain, la science s’ouvre à une lecture symphonique et harmonique du réel ; elle saisit la res cogitans (le sujet pensant) à l’intérieur d’une relation harmonique et dynamique avec l’objet. Bien qu’étant une interprétation rationnelle du réel, elle est capable de s’ouvrir à une lecture théologique et esthétique du réel, une lecture où la nature apparait comme un Livre de Révélation de Dieu et comme un lieu de contemplation du Beau.

III-LA SCIENCE COMME « CULTURE » & « TECHNOLOGIE »

Selon le paradigme africain, la science doit être à la fois culture et technologie
-Culture : Déchiffrement du cosmos, refus de l’obscurantisme et de l’ignorance, pratique de la Rekhet (la raison rigoureuse), dénomination des objets, identification et analyse profonde de tout ce qui constitue dans la nature et dans l’homme un obstacle à l’épanouissement global de la Vie.
-Technologie : Organisation des éléments, mise en pratique des connaissances, créativité foisonnante et continue, mobilisation efficiente de tout l’univers pour le « grand assaut de la Vie contre la mort ».

IIII-CONCLUSION

On voit bien l’optimisme qui se dégage de ce paradigme. On n’a pas à craindre ni la science ni la technologie. Au contraire, on doit les rechercher, les développer, les divulguer à tous les niveaux, car elles sont au service de la Vie et de l’Harmonie. Mais elles peuvent comporter le risque d’une instrumentalisation à des fins destructrices. La transmission du savoir a donc entre autres pour mission de faire en sorte que « la science et la culture appréhendent le monde avec les yeux de la culture, des yeux d’initié, capables de lire sur le visage des choses le nom de la Vie ».

Mahougnon S. 

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